Pourquoi le poisson-archer tire-t-il toujours droit au but ?
Le tir alimentaire de précision de Toxotes jaculatrix:Le poisson-archer Toxotes jaculatrix, petite espèce exotique très commune dans les mangroves et les rivages des océans Indien et Pacifique, du nord de l'Australie et de la Malaisie, possède un don très particulier : il est capable d'atteindre une proie d'un simple jet d'eau jusqu'à deux mètres de distance.
Tous les gardiens de but le savent : stopper un ballon dans sa course réclame des réflexes très rapides, ainsi qu'un sens de l'observation permettant d'évaluer en une fraction de seconde vitesse, trajectoire et direction d'un ballon tout en effectuant la projection mentale de l'endroit précis où il sera possible de l'intercepter.
Le tir du poisson-archer atteint (presque) toujours son but ! Pleine lucarne à chaque fois. Non seulement, il vise parfaitement sa proie mais il sait aussi très bien où la récupérer à la surface de l'eau.
insectivore, les poissons du genre Toxotes, et notamment le poisson-archer Toxotes jaculatrix, (de son nom scientifique) pratique une méthode de chasse à la fois peu commune et spectaculaire. C'est un surdoué aquatique du tir.
Il projette avec force un jet de gouttelettes d'eau par la bouche en direction d'un insecte perché sur une brindille, ou une feuille, voire en vol, et l'abat, et cela jusqu'à deux mètres de distance, une performance remarquable pour un poisson d'une quinzaine de centimètres. Pour arriver à cela, il aspire l'eau puis contracte violemment ses opercules ainsi que ses maxillaires hyoïde et inférieur, ce qui provoque l'expulsion de l'eau par une petite ouverture à l'avant de sa bouche. Mais ce n'est pas tout, et le reste ne cesse de stupéfier les chercheurs.
En effet, il doit tenir compte de la réfraction de l'eau, sous le niveau de laquelle il se tient par définition… Un objet n'est pas perçu à la position qu'il occupe réellement, et le Toxotes doit tenir compte de ce phénomène. On pourrait penser qu'il se tient systématiquement sous sa proie, à la verticale, annulant cet effet. Mais l'observation révèle que la majorité des "tirs" s'effectuent sous un angle de 70 à 80 °, aussi la précision obtenue résulte-t-elle probablement d'un apprentissage.
Mais ce n'est pas tout. Car le poisson-archer, non seulement abat (en les assommant) ses proies, posées ou en vol, mais encore il ne les attaque que si leur propre trajectoire les amènera à retomber exactement à un endroit où il pourra facilement s'en saisir. Notre arbalétrier aquatique ne chasse pas pour la concurrence.
Cette capacité a piqué la curiosité du neurologiste Stefan Schuster et de l'étudiant en graduat de neurologie Thomas Schlegel, tous deux de l'université de Erlangen-Nürnberg (Allemagne), qui se sont intéressés sur la façon dont les cerveaux des poissons prenaient leurs décisions, et publient leurs résultats cette semaine dans le magazine Science.
Délaissant toute facilité, les deux chercheurs ont d'emblée décidé d'opérer au moyen de proies mobiles imitant un insecte en vol. Ils les ont disposées sur une petite plate-forme surplombant l'aquarium, hors de la vue de leurs hôtes, et ont utilisé un souffle d'air comprimé pour propulser les insectes dans la direction voulue. Afin d'encore compliquer la tâche des poissons, ils ont quelquefois disposé plusieurs plate-formes, chronométrant le temps de réaction des Toxotes.
Quelles qu'aient été les difficultés, les Toxotes ont imperturbablement abattu toutes leurs cibles dans des temps parfois aussi courts que 40 millisecondes. Lorsque plusieurs plates-formes étaient utilisées, quelquefois lointaines ou situées sous l'angle de vision des poissons, leurs réactions indiquaient clairement qu'ils ne pouvaient pas deviner de quelle direction proviendrait l'insecte, les scientifiques s'efforçant de brouiller les pistes… L'intelligence des gestes simples.
Au cours de certains tests, Schuster et Schlegel ont projeté simultanément deux insectes depuis la même plate-forme, mais dans deux directions différentes afin de voir s'ils arriveraient à provoquer une certaine confusion et si les poissons n'allaient pas viser un endroit intermédiaire. Au lieu de cela, les poissons-archers ont systématiquement choisi une des deux proies, typiquement celle qui retomberait le plus près d'eux, et en ont obtenu la chute avec la même rapidité que s'il n'y avait eu aucune distraction.
D'autres études ont démontré que la perception des insectes en vol déclenche un circuit de six neurones à l'intérieur du cerveau des Toxotes, habituellement destiné à accélérer leur réaction face à un prédateur. Les yeux saisissent alors l'information, qui est rapidement transmise sous forme de données sur la vitesse, la direction et l'altitude vers les neurones moteurs, provoquant quasi instantanément les réflexes de torsion, pivotement et fuite. Selon les chercheurs, cette fonction pourrait aussi intervenir dans le processus qui permet aux poissons de sélectionner et d'atteindre leurs proies, tout en intégrant d'autres facteurs tels la position du corps relativement à l'insecte.
Le neurologiste cognitif Russell Poldrack de l'université de Californie à Los Angeles conclut ainsi : cette étude fournit une démonstration importante aux chercheurs en neurobiologie cognitive humaine en démontrant qu'un comportement très intelligent peut résulter de systèmes très simples.